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LOCUS SOLUS
RAYMOND ROUSSEL
LOCUS SOLUS
Hibouc
2006
DEDICACE
A ma sœur la duchesse d’Elchingen
Très tendrement
R.R
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CHAPITRE PREMIER
Ce jeudi de commençant avril, mon savant ami le maître Martial
Canterel m'avait convié, avec quelques autres de ses intimes, à visiter
l'immense parc environnant sa belle villa de Montmorency.
Locus Solus — la propriété se nomme ainsi— est une calme retraite
où Canterel aime poursuivre en toute tranquillité d'esprit ses multiples
et féconds travaux. En ce lieu solitaire il est suffisamment à l'abri des
agitations de Paris — et peut cependant gagner la capitale en un quart
d'heure quand ses recherches nécessitent quelque station dans telle
bibliothèque spéciale ou quand arrive l'instant de faire au monde
scientifique, dans une conférence prodigieusement courue, telle
communication sensationnelle.
C'est à Locus Solusque Canterel passe presque toute l'année, entouré
de disciples qui, pleins d'une admiration passionnée pour ses
continuelles découvertes, le secondent avec fanatisme dans
l'accomplissement de son œuvre. La villa contient plusieurs pièces
luxueusement aménagées en laboratoires modèles qu'entretiennent de
nombreux aides, et le maître consacre sa vie entière à la science,
aplanissant d'emblée, avec sa grande fortune de célibataire exempt de
charges, toutes difficultés matérielles suscitées au cours de son labeur
acharné par les divers buts qu'il s'assigne. Trois heures venaient de
sonner. Il faisait bon, et le soleil étincelait dans un ciel presque
uniformément pur. Canterel nous avait reçus non loin de sa villa, en
plein air, sous de vieux arbres dont l'ombrage enveloppait une
confortable installation comprenant différents sièges d'osier.
Après l'arrivée du dernier convoqué, le maître se mit en marche,
guidant notre groupe, qui l'accompagnait docilement. Grand, brun, la
physionomie ouverte, les traits réguliers, Canterel, avec sa fine
moustache et ses yeux vifs où brillait sa merveilleuse intelligence,
accusait à peine ses quarantequatre ans. Sa voix chaude et persuasive
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donnait beaucoup d'attrait à son élocution prenante, dont la séduction et
la clarté faisaient de lui un des champions de la parole.
Nous cheminions depuis peu dans une allée en pente ascendante fort
raide.
A micôte nous vîmes au bord du chemin, debout dans une niche de
pierre assez profonde, une statue étrangement vieille qui, paraissant
formée de terre noirâtre, sèche et solidifiée, représentait, non sans
charme, un souriant enfant nu. Les bras se tendaient en avant dans un
geste d'offrande—les deux mains s'ouvrant vers le plafond de la niche.
Une petite plante morte, d'une extrême vétusté, s'élevait au milieu de la
dextre, où jadis elle avait pris racine.
Canterel, qui poursuivait distraitement son chemin, dut répondre ànos
questions unanimes.
« C'est le Fédéral à semencontra vu au cœur de Tombouctou par Ibn
Batouta », ditil en montrant la statue — dont il nous dévoila ensuite
l'origine.
Le maître avait connu intimement le célèbre voyageur Echenoz, qui
lors d'une expédition africaine remontant à sa prime jeunesse était allé
jusqu'à Tombouctou.
S'étant pénétré, avant le départ, de la complète bibliographie des
régions qui l'attiraient, Echenoz avait lu plusieurs fois certaine relation
du théologien arabe Ibn Batouta, considéré comme le plus grand
explorateur du
XIV
e
siècle après Marco Polo.
C'est à la fin de sa vie, féconde en mémorables découvertes
géographiques, alors qu'il eût pu à bon droit goûter dans le repos la
plénitude de sa gloire, qu'Ibn Batouta avait tenté une fois encore une
reconnaissance lointaine et vu l'énigmatique Tombouctou.
Durant sa lecture Echenoz avait remarqué entre tous l'épisode suivant.
Quand Ibn Batouta entra seul à Tombouctou, une silencieuse
consternation pesait sur la ville.
Le trône appartenait alors à une femme, la reine DuhlSéroul, qui, à
peine âgée de vingt ans, n'avait pas encore choisi d'époux.
DuhlSéroul souffrait parfois de terribles crises d'aménorrhée, d'où
résultait une congestion qui, atteignant le cerveau, provoquait des accès
de folie furieuse.
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Ces troubles causaient de graves préjudices aux naturels, vu le
pouvoir absolu dont disposait la reine, prompte dès lors à distribuer des
ordres insensés, en multipliant sans motif les condamnations capitales.
Une révolution eût pu éclater. Mais hors ces moment d'aberration
c'était avec la plus sage bonté que DuhlSéroul gouvernait son peuple,
qui rarement avait goûté règne aussi fortuné. Au lieu de se lancer dans
l'inconnu en renversant la souveraine, on supportait patiemment les
maux passagers compensés par de longues périodes florissantes.
Parmi les médecins de la reine aucun jusqu'alors n'avait pu enrayer le
mal.
Or à l'arrivée d'Ibn Batouta une crise plus forte que toutes les
précédentes minait DuhlSéroul. Sans cesse il fallait, sur un motd'elle,
exécuter de nombreux innocents et brûler des récoltes entières.
Sous le coup de la terreur et de la famine les habitants attendaient de
jour en jour la fin de l'accès, qui, se prolongeant contre toute raison,
rendait la situation intenable.
Sur la place publique de Tombouctou se dressait une sorte de fétiche
auquel la croyance populaire prêtait une grande puissance.
C'était une statue d'enfant entièrement composée de terre sombre—et
jadis fondée en de curieuses circonstances sous le roi Forukko, ancêtre
de DuhlSéroul.
Possédant les qualités de sens et de douceur retrouvées en temps
normal chez la reine actuelle, Forukko, édictant des lois et payant de sa
personne, avait porté haut la prospérité de son pays. Agronome éclairé,
il surveillait luimême les cultures, afin d'introduire maints fructueux
perfectionnements dans les méthodes caduques touchant les semailles
et la moisson.
Emerveillées de cet état de choses, les tribus limitrophes s'allièrent à
Forukko pour profiter de ses décrets et avis, non sans garder chacune
son autonomie avec le droit de reprendre à son gré une indépendance
complète. Il s'agissait là d'un pacte d'amitié et non de soumission, par
lequel on s'engagea en outre à se coaliser au besoin contre un ennemi
commun.
Au milieu d'un fol enthousiasme déchaîné par la déclaration
solennelle de l'immense union accomplie, on résolut de créer, en guise
d'emblème commémoratif apte à immortaliser l'éclatant événement,
une statue faite uniquement de terre prise au sol des diverses tribus
conjointes.
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AAAA KUP TO!!
AAAA LISTA BESTSELLERÓW!!!
Abû Muhammad al-Qâsim ibn Alî ibn Muhammad ibn Uthmân al-Ḥarîrî al-Basrî
Abû-Saîd bin Abu'l-Khayr (Abusaeed Abolkhayr)
Ahmed Bosnić
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